23 juilTraduction d’un article sur le « nécessaire changement de paradigme dans le mouvement pour les droits des animaux »

Pour l’abolition du veganisme, pour l’abolition de l’esclavage (source anglaise)

 

Au sujet du changement nécessaire de paradigme dans le mouvement pour le droit des animaux.

 

I. Introduction

 

a.Les animaux non humains sont des esclaves

Depuis Darwin, nous savons clairement que les êtres humains ne sont pas les seuls animaux à avoir des intérêts et à ressentir des émotions. Néanmoins, les individus non humains sont, légalement, une propriété dans notre société spéciste. Considérés comme une ressource, ils sont exploités pour leur lait et leurs œufs, sont assassinés pour leur peau et leur chair, sont utilisés comme « matériel biologique » pour des expériences, etc.

 

b. 99.8% de l’esclavage animal = l’alimentation

Le nombre d’animaux terrestres tués pour la viande est évalué à environ 60 milliards d’individus chaque année. Les animaux aquatiques sont comptés en tonnes, environ 150 millions de tonnes chaque année, ce qui représente à peu près 1000 milliards de victimes. Regroupé, cela donne un chiffre aux alentours de 1060 milliards d’individus tués chaque année pour la nourriture. En comparaison, l’industrie de la fourrure tue 60 millions d’individus (0.0057% des victimes de l’alimentation) et les expérimentations animales environ 300 millions de victimes (0.028% des victimes de l’alimentation).

 

II. Quelles stratégies utiliser pour abolir l’esclavage ?

Tout d’abord, nous allons analyser la stratégie des mouvements sociaux sur la manière d’amener le changement, et dans un deuxième temps nous comparerons cela à la stratégie utilisée jusqu’à présent par les activistes des droits des animaux.

 

a. Les stratégies utilisées par les mouvements sociaux

aa. Des machines à revendications.

Les mouvements sociaux sont des machines à revendications.

1)      Ils expriment une revendication : « Abolition de l’apartheid ! » « Nous demandons le droit de vote des femmes ! » « Les logiciels devraient être gratuits ! »

2)      Ensuite, ils rendent cette revendication le plus visible possible dans la société (manifestations, pétitions, lettres, débats télévisés, etc.)

3)      Cette revendication créée un débat dans la société, amenant le problème à être mis à l’ordre du jour et donc à devenir un problème public.

Il est important de noter que c’est toujours une minorité qui commence à réclamer un changement. Et durant le débat public (qui peut durer des décennies) plus la revendication est discutée, plus grosse devient la minorité, finissant par devenir une majorité.

Une fois que l’unanimité concernant une situation/pratique est brisée, car certaines personnes commencent à réclamer un changement, il devient plus simple pour les autres de questionner cette pratique -> l’étude psychologique d’Asch

 

ab. Etude de psychologie du professeur Asch

« Laquelle des barres de droite fait la même taille que celle de gauche ? » Et bien cela dépend…

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans cette expérience, le professeur Asch à montré à dix personnes une ligne dessinée sur du papier. On a alors demandé aux participants de dire quelles étaient les deux lignes de la même longueur. En réalité, un seul des participants était le sujet réel de l’expérience, alors que les neuf autres étaient des complices du psychologue et avaient pour ordre de donner une réponse fausse. Quand les neuf complices donnaient une mauvaise réponse, le sujet étudié suivait la majorité. Et il était même persuadé que cette majorité avait raison. Mais quand il y avait au moins une personne pour briser l’unanimité en donnant la réponse correcte, il devenait plus facile pour le sujet de questionner ce que la majorité répondait et il répondait plus souvent de manière correcte.

Si la pression sociale générée par l’unanimité est si forte pour ce type de questions où la solution peut être trouvée simplement en regardant, on peut facilement imaginer qu’elle est encore plus puissante pour les problèmes de justice qui demandent de la réflexion.

Une fois qu’une revendication demandant l’abolition d’une pratique est entendue dans la société, le consensus de légitimation de cette situation est brisé. Elle commence à être perçue comme problématique, rendant plus simple pour les gens de refuser de s’aligner avec la majorité et d’encourager l’abolition de la pratique en question.

Par conséquent, on peut comprendre qu’en exprimant, et en rendant visible, une revendication qui créé un débat public dans la société, les mouvements sociaux profitent pleinement de l’effet bénéfique causé par l’action de briser l’unanimité sur une situation.

 

b.Stratégies utilisées par les activistes du droit des animaux : la stratégie de la conversion

Nous avons vu que l’exploitation des animaux pour l’alimentation représente environ 99.8% de l’exploitation. Néanmoins, sur cette question, les activistes du droit pour les animaux ont utilisé la stratégie de la conversion.

La stratégie de la conversion consiste à convertir les gens au végétarisme/véganisme sans créer un débat public ou de créer une revendication (comme par exemple : « les abattoirs doivent être fermés maintenant ! »).

La croyance derrière la stratégie de la conversion est la suivante : « Nous sommes juste une minorité, donc nous devons d’abord convertir beaucoup de personnes au véganisme, et à ce moment-là seulement nous créerons un débat public. »

1) Mais tous les mouvements sociaux étaient de petites minorités quand ils ont commencé à poser des revendications, même le mouvement pour l’abolition de l’esclavage humain.

2) Et la conversion au véganisme est bien plus compliquée s’il n’y a pas de débat dans la société concernant cette question, car il est très compliqué de questionner une pratique qui est acceptée à l’unanimité (étude d’Asch).

Les mouvements sociaux n’ont jamais utilisé ce genre de tactiques de manière indépendante. Si le boycott est utilisé, il est utilisé avec la création d’une revendication. Exemple : Martin Luther King a appelé au boycott des bus Montgomery et à réclamer que la discrimination raciale soit abolie. Gandhi a réclamé le boycott des textiles britanniques et a réclamé que l’Inde acquière son indépendance.

En outre, ce qui est également problématique c’est que le véganisme n’est même pas perçu par le public comme un boycott politique, mais comme un choix personnel (voir plus loin).

La stratégie de la conversion n’est pas utilisée dans les mouvements sociaux mais dans les mouvements religieux.

Mais le succès de cette stratégie est très limité : Après 2000 ans d’utilisation de cette stratégie par le christianisme, la majorité des humains n’est toujours pas chrétienne, malgré l’emploi de nombreuses techniques de conversion, parfois même très violentes. Combien de milliers  d’années devront nous attendre pour abolir l’esclavage animal si nous utilisons cette stratégie ?

 

III. Les conséquences de la stratégie de la conversion

 

 a. Inefficacité

aa. Regard historique

Tout au long de l’histoire, aucun changement pour plus de justice n’a été obtenu avec la stratégie de la conversion. Cependant la stratégie des mouvements sociaux a prouvé sa capacité à réussir à de nombreuses occasions (le mouvement d’abolition de l’esclavage humain, le mouvement des droits civils, le mouvement de libération des femmes, le mouvement  LGBT, etc.). Donc nous pouvons constater qu’il est très étrange pour le mouvement du droit des animaux d’utiliser une stratégie qui n’a jamais apporté aucun changement pour plus de justice au lieu d’utiliser celle qui a déjà prouvé son efficacité à de multiples reprises.

 

ab. « Proportion dominance »

Des études ont mis à jour que les enchainements d’actions qui ont mené  à l’éradication complète (ou quasi complète) de problèmes sont préférés aux séries d’actions qui apportent une éradication incomplète.

Par exemple, dans une récente étude publiée en 2006, le Professeur Bartels s’est aperçu qu’une intervention pouvant sauver 102 vies sur 115 mises en péril était jugée plus favorable qu’une intervention visant à sauver 105 vies sur 700 mises en péril, même si le nombre de vies sauvées était supérieur dans la seconde intervention !

Cet effet psychologique est appelé « proportion dominance » et Bartels a montré que son impact est encore plus important  lorsqu’il s’agit de sauver des ressources naturelles ou des vies animales. Une intervention évitant la mort, par pollution de l’usine A, de 245 poissons sur 350 était jugée plus importante qu’une intervention évitant la mort de 251 poissons sur 980 due à la pollution de l’usine B1.

Imaginons que le fait d’être vegan sauve la vie de 100 animaux chaque année. Puisque le nombre total d’animaux tués chaque année est de 1060 milliards, le sauvetage  de ces 100 animaux est considéré comme tout à fait insignifiant par notre esprit humain à cause de cet effet de « proportion dominance ». C’est la raison pour laquelle beaucoup de personnes refusent de changer leur mode alimentaire, sachant que leur petite action individuelle ne changera rien au nombre gigantesque d’animaux tués chaque année.

Toutefois, si l’acte de refuser de manger des produits animaux était présenté comme une partie d’un boycott global provenant d’un mouvement international qui vise à éliminer la totalité des 1060 milliards de victimes tuées chaque année, nous pouvons supposer que les gens réfléchiront plus sérieusement à la question. Tout ceci sans même prendre en compte que la simple expression de la revendication « Tuer des animaux pour la nourriture doit être abolie ! » créera un débat dans la société, et donc permettra à un nombre plus grand de personnes de réfléchir au problème.

 

ac. Perte de temps et d’énergie

Le mouvement pour le droit des animaux n’a pas un nombre astronomique d’activistes et nos ressources sont limitées. Néanmoins, nous utilisons notre temps et notre énergie à convertir 6 milliards de non-vegans un par un, sans même savoir si notre stratégie marchera un jour.

Au lieu de cela, nous pourrions créer un débat au sein de la société dans son ensemble sur la légitimité de tuer des animaux pour l’alimentation, poussant ainsi chaque citoyen à s’interroger sur le sujet.

Parce que notre but est de changer la situation pour les animaux, nous devrions utiliser notre temps à utiliser les stratégies les plus efficaces qui nous permettent d’aboutir à l’abolition de l’exploitation animale le plus vite possible sans quoi des milliards d’animaux vont souffrir et mourir pour rien.

Donc, si nous voulons que nos idées soient entendues plus clairement par la société, et par ce fait encourager plus de gens à boycotter les produits animaux afin d’arriver, un jour, à l’abolition de l’exploitation animale ; nous devons générer un débat de société qui sera créé par des revendications publiques et non par une stratégie de conversion.

 

b. Une question de choix personnel

Le plaidoyer du véganisme créé l’impression auprès du public qu’il s’agit d’une question de choix personnel et non d’une question de justice. « Comme il existe des gens qui sont musulmans, certaines personnes sont vegans, chacun a le droit de faire ce qu’il/elle veut. »

Bien sûr que la décision de tuer et de manger un autre individu n’est pas une question de choix personnel mais une question de justice envers les animaux exploités. Cependant, les gens ne le réaliseront pas s’il n’y a personne pour revendiquer que le fait de tuer des animaux pour l’alimentation doit être aboli.

A cause de l’utilisation de la construction du « véganisme », c’est ce qui reste dans l’esprit des gens : « Ils ne mangent pas de produits animaux car ils sont vegans» est très similaire à « ce gars ne mange pas de porc car il est musulman ». Ca revient à un choix personnel à nouveau. Si nous utilisons des revendications politiques, ça deviendra « ils boycottent les produits animaux car ils demandent la fermeture des abattoirs/ils veulent que l’exploitation des animaux soit abolie/ils veulent un droit légal à la vie pour les animaux. »

En nous définissant en tant que vegans/végétariens, nous transformons le refus d’une pratique en un simple style de vie. Si nous ne voulons pas que ce problème soit perçu comme une question de choix personnel, quand quelqu’un nous demande pourquoi nous ne consommons pas de produits animaux, au lieu de dire « je suis vegan », nous devrions dire « Je boycott les produits animaux car je suis pour la fermeture des abattoirs » ou « je suis pour l’abolition de l’exploitation animale ».

 

c.  Renforcement psychologique du spécisme

Le but de la stratégie de la conversion est de convertir les gens au véganisme ; peu importe le moyen, c’est pourquoi de nombreux arguments utilisés n’ont aucun rapport avec l’oppression des animaux non humains. Exemple : les arguments sur la santé ou l’environnement sont quasiment toujours présents sur les tracts que nous distribuons et parfois il n’y a même pas un mot sur le spécisme.

Si nous étions dans une société où les gens mangeaient les enfants, est-ce que nous critiquerions cette pratique en expliquant que ça peut être mauvais pour la santé des cannibales ? Non, nous critiquerions cela uniquement en disant que les enfants ont un intérêt à vivre leur vie. De la même manière, parler de la santé des cannibales envoie un message inconscient que les intérêts des enfants ne sont pas si importants.

Imaginez qu’il y ait eu une manifestation organisée contre le génocide au Rwanda dans laquelle les gens auraient dit : « On doit arrêter ce génocide car il y a trop de sang produit par les massacres et ça pollue les nappes phréatiques. »C’est immoral d’utiliser ce type d’argument  (santé ou environnement) quand des humains sont tués. C’est également immoral d’utiliser ce type d’argument quand des êtres sentients d’une autre espèce sont tués.

La stratégie de la conversion nous amène à utiliser tous les arguments que nous possédons afin de convertir les gens au véganisme, mais quand nous utilisons les arguments sur la santé ou l’environnement au lieu de ceux concernant les victimes assassinées chaque jour, nous envoyons le message spéciste inconscient que la vie des animaux non humains n’est pas si importante.

 

 

IV. Que faire pour abolir l’esclavage des animaux non humains ?

 

 a. L’exemple de l’abolition de l’esclavage humain

Prenons l’exemple des abolitionnistes de l’esclavage humain au 19eme siècle.

Ont-ils essayé de convertir les gens au « hooganisme » (un mode de vie qui exclue tout produit de l’esclavage humain) ?

Non ! Ils ont réclamé que l’esclavage humain soit aboli et ont créé un débat dans la société sur cette question. Les activistes du droit des animaux devraient en faire de même.

 

b. Une stratégie moralement inacceptable.

S’il y avait des camps de concentration dans notre pays dans lesquels des esclaves humains produisaient plein de produits différents, demanderions-nous juste aux gens d’arrêter d’acheter ces produits ou demanderions-nous que ces camps de concentration soient fermés ?

Je pense que nous exprimerions clairement qu’ils doivent être fermés et il serait tout à fait immoral de notre part de juste demander le boycott de ces produits.

Ainsi, non seulement la stratégie de la conversion est inefficace, créé l’impression que tuer un animal est une question de choix personnel, et inconsciemment renforce le spécisme, mais ce n’est même pas une position moralement acceptable.

 

c. La stratégie des mouvements sociaux

Si nous voulons abolir l’exploitation animale, nous devons exprimer une revendication qui demande son abolition et la faire résonner de plus en plus dans la société afin de créer un débat public sur la question.

Par exemple, quand nous écrivons des tracts, des communiqués de presse, sommes interviewés, organisons des manifestations, au lieu de la phrase individualiste « go vegan ! » nous devrions afficher des revendications claires pour un changement de société « Tuer des animaux pour la nourriture doit être aboli »

Pour illustrer et bien comprendre la différence entre les deux stratégies, comparez les exemples suivants :

 

Stratégie de la conversion :

“Go vegan!”

“Le veganisme est bon pour la planète.”

“Le veganisme est bon pour la santé.”

“Les vegans sont de meilleurs amants.”

“Devenir vegan est un choix rationnel.”

“La nourriture vegan est fantastique!”

 

Stratégie des mouvements sociaux:

“Nous demandons l’abolition du statut de propriété de l’animal.”

“Les abattoirs doivent être fermés immédiatement.”

“Tuer les animaux pour l’alimentation doit être aboli.”

“Les animaux doivent avoir des droits fondamentaux à la vie.”

L’élevage, la pêche et la chasse, de même que vendre et manger des produits animaux, doivent être abolis. » (copié du site sur l’abolition de la viande: http://www.meat-abolition.org/fr/presentation )

« La société devrait condamner et combattre le spécisme comme elle le fait pour le racisme et le sexisme. »

 

Conclusion

Quand nous prenons part à l’activisme ou que nous parlons juste de la défense des non-humains, nous devrions nous assurer que notre message est bien entendu comme une demande pour un changement qui concerne la totalité de la société. Au lieu d’avoir peur du public, nous devons avoir le courage de parler pour les animaux concernés et commencer à exprimer ce que nous voulons vraiment :

 “Nous demandons l’abolition de l’esclavage animal!”

 

 

1 Pour plus d’information sur cette étude, lire :Bartels, Daniel M., Proportion Dominance: The Generality and Variability of Favoring Relative Savings Over Absolute Savings (2006). Organizational Behavior and Human Decision Processes, Vol. 100, pp. 76-95, 2006. 

Traduit par S.Moro, association Chimère

 

NDT : On vient de m’informer qu’il existait en fait déjà une traduction de ce texte  ici.